Taramana, îlot protecteur adossé à sa favela. Petit d’homme, ce matin-là, tu m’as cueilli.
Tes lippes charnues si finement ourlées sur ta peau mordorée, et surmontées par deux ténébreuses spinelles aux mouvements incessants, nystagmus anarchique multidirectionnel, totalement consacré à te soustraire au croisement du regard d’autrui. Ton écrin cardiaque figé du manque abyssal d’amour parental, solidaire de ton cadre colique distordu, témoin des sévices et violences subies.
Ce matin-là, petit d’homme, au diapason de ton être, une amère saumure déborda soudainement de mes yeux. Manifestation apaisante d’une jauge saturée et vulgarité dans ton univers banni d’émois. Tu m’as cueilli ce matin-là, archétype de mouflet que j’avais croisé et que j’allais croiser. Tu transpirais la stramoine commune et ses effluves de terreurs infantiles. A l’instar de tes semblables, tels des petits fruits à coque, tu allais laisser fracturer ta bogue pour une reconnexion au Verbe premier, aussi étrange qu’il soit dans ton pays par sa dominante carmin. Est-ce le sol par trop gorgé de sang frais ou le vermillon du Mulhadara, racine puissante à la Terre Mère, son écarlate teinte figeant une société dans ses croyances et « prégnantissime » culte des ancêtres ?
Tu allais partir comme beaucoup d’autre dans une altérité de conscience, yeux grand ouverts et absents, épuisé des tensions qui cèdent. Mais au retour de ton voyage cicatrisant, tu allais ancrer furtivement tes deux billes noires de jais dans les miennes. Juste une seconde ou deux, pas plus. Je ressentais cet instant fugace comme justifiant que je fusse là, en terre khmère.
D’autres toi me bouleverseront comme dans ce havre chamarré, isolé dans les rizières, Ptea Clara, où autant de lutins bigarrés cherchaient appui sur chacun de mes doigts.
Je n’oublierai pas les circassiens et leur magique énergie de résilience, créatrice de ces émouvants arts du cirque, ni l’expérience intense, si intime, des soins ramenés à une seule communication quasi animale de ces grands accidentés de naissance destinés à un trop court « touch and go » dans leur manifestation au monde. Quelle leçon je reçus !
J’ai bien sûr aussi à l’esprit le plaisir d’avoir pu partager et transmettre ce que d’autres m’avaient transmis.
Mais cette session était aussi l’occasion de rencontrer quelques belles âmes soignantes débordantes d’humanité, de s’accorder rituellement dans les soins.
Mise en harmonie du groupe au service de la mise en harmonie du patient. Et bien sûr le plaisir de quelques retrouvailles amicales d’une extrême intensité.
Voilà un échantillon de mes tatouages mentaux de ce premier voyage d’où je revenais les yeux piquants et embués pendant quelques semaines, probablement la poussière et les piments … ?