Le blog

Jamais venu là

Je ne suis jamais venu là auparavant.

Du premier au dernier enfant que nous verrons ensemble, comme les doigts d’une main, deux mains.
Tant de violences et d’abandons, tous ces manques, toutes ces plaies mal cicatrisées, ces « corsets » enserrés.
Il faut laisser aller, laisser venir, ne rien vouloir. Notre Ostéopathie est là, comme un air de Jazz…Improvisée.
Il n’y aura pas de mots, quelquefois des cris qui sont des mots…Il y a des espoirs de perceptions et qui surviennent…inattendues. Il y a des silences, des pauses respiratoires, des tensions qui se déplacent, qui voyagent dans ces corps d’abandon. Tout est là, sous nos doigts à peine posés, délicatement déposés sans autre intention que de recevoir et de donner, de créer une respiration commune.
Le but de nos soins est la respiration, une rencontre qui se déploie comme l’embryon croît.
Instituts, orphelinats, centres d’accueils, « orphelinat » transformé en centre de prévention de la violence et de la prostitution…d’enfants. « Peace Village » enfin, au fond de la campagne Cambodgienne où une équipe admirable de kinésithérapeutes locaux font d’un spot lumineux de boite de nuit, un ciel multicolore de stimuli sensitivo-moteurs et cognitifs pour des enfants handicapés d’étiologie souvent peu précises. Nous rencontrons des Femmes remarquables d’engagement pour ces actions nécessitantes…de moyens, de volontés, de neutralité. D’un sourire, nous les remercions ; Orkun…
Nous percevons des parents qui accompagnent des enfants autistes sur ces tables étalées et Kramarrées.
Des Pères et Mères «Intranquilles » que nous intégrons quelquefois dans le soin de l’enfant. Nous sommes intégrés à cette réalité. Nos regards de thérapeutes se croisent et se décroisent en complicité, au fil des difficultés d’approches, des apprentissages, des apprivoisements de ces mondes intérieurs qui nous regardent intensément et qui nous fuient d’un coup, pour regarder ailleurs…un ailleurs qui nous est inconnu, un ailleurs à imaginer. Les enfants autistes sont des intelligences que nous ne savons pas, des hypersensibilités. Tout est acuité à cet endroit que nous connaissons mal. Il faut accepter de ne rien faire au moment ou plus rien n’est possible, sauf ; le contact de l’enfant avec sa mère.
Nôtre Ostéopathie se modifie, elle progresse, ouvrant des espaces de conscience que peu du monde de l’ostéopathie perçoivent. Des multitudes, des centaines, presque un millier…Nous visiterons chaque enfant dans leur multitude d’individualité.
Je connaissais la misère, sans pouvoir comprendre la misère.
Je pensais savoir ces regards et savoir que je ne les reverrais plus…
Nous laisserons des enfants avec une pathologie exprimée ou devinée.
Je veux me rappeler…cet enfant d’à peine sept ans, qui se présente à Catherine avec une plaie du gros orteil. Le pied est sale, il marche pied nu, l’ongle est presque détaché sur une lunule sanguinolente. Notre amie le soigne au mieux. Tout à coup l’enfant prends les choses en mains…Il arrache ce qui reste de l’ongle et va lui-même faire son pansement, sans faillir, sans crier, il va recouvrir son orteil avec délicatesse comme s’il savait ce que panser veut dire, au fin fond de la campagne Cambodgienne, 7 ans à peine…
Cet autre petit enfant, mini taille, les cheveux noirs en brosse naturelle, et un regard d’une tristesse, d’une interrogation incommensurable…Son immobilité regardante m’interpelle, il m’interroge. Il ne parle pas, il me dit ; « regarde où je suis ! » Au milieu d’estropiés, de plus grands que moi, allongés ou déambulant dans des fauteuils improbables, des sièges roulants rafistolés, au milieu des cris rauques et des grincements de roues. Il est beau au milieu de la laideur ! C’est un prématuré, il a trois ans, je pense. Une dame le protège, une déesse qui n’est pas sa mère. Je le prends aux bras ; il ne sourit ni ne parle plus que sur SA terre, il interroge l’alentour et me regarde à nouveau de la même profondeur…abyssale. Je lui offre mon sourire de latinité. Il reste grave mais beau, il respire calmement, son cœur est calme…au milieu de la tempête de la salle. Je le pressens ; il va s’en sortir, la résilience va s’exprimer, il a une force de vie incroyable. Formidable, il est formidable ce petit que je nomme Smile. Je me sens laid au milieu de la beauté…Ces mômes du Cambodge ne sont le plus souvent, pas incarnés, non reconnus, renommés avec des dates de naissance improbables. Ils nous tendent un bout de papier, un drapeau blanc pour la paix de leurs âmes blessées.
« Nous, on voudrait leur dire…Les mots qu’on reçoit,
C’est comme des parfums qu’on respire…Juste un regard…Facile à faire. » Francis Cabrel.
Il est des douleurs qui ne quittent jamais un embryon, qui font leur route sans chemin. Les douleurs sans chemin de sortie sont des impasses du mal d’amour…Heureusement, il y a le dehors qui respire, par le dedans.
« Quand on renonce à survivre à tout prix, une lumière nouvelle vous inonde. » Cambodia Mon Amour…