Un chemin de terre rouge au milieu de rizières inondées
Le grand espace plat ponctué de palmiers.
Ce riz jaune sèche sur des bâches devant les maisons.
Une pancarte verte à l’angle, qui indique la route de l’orphelinat.
Nos corps secoués, par la route très usée, se balancent dans les flaques.
Nos coeurs rieurs observent ; je retrouve mes yeux du large atlantique.
Devant le préau les enfants attendent d’obtenir, avant le soin, un papier avec leur nom et leur date de naissance écrits en alphabet romain.
Quelques-uns sortent de la file et courent levant le bras, la feuille tenue au bout de leurs doigts face au vent ; comme un cerf-volant flottant de leur identité.
Une nuée de bras agite le précieux sésame au milieu de la cour ombragée : pur jeu. Un des papiers s’échappe et termine dans un palmier : inaccessible !
Le vol des enfants s’arrête immédiatement, et une pluie de tongues lancées avec vigueur s’abat sur la palme. Leur obstination peut paraître risible ; mais sacrément efficace : le papier redescend, et ramassé par un complice ; il retrouve enfin l’enfant au même nom.
Puis, toute la troupe solidaire, de nouveau chaussée, revient vers nous.
Nous allons pouvoir commencer ; mais leur façon d’être ensemble a déjà débuté le soin.
Une petite fille cabossée par son début de vie, reçoit un chemisier bleu à petites fleurs blanches, délicatement boutonné. Elle s’anime, levant lentement ses mains au-dessus du visage, regardant les manches longues couvrir enfin ses bras maigres.
Shade for children
J’avais une grande envie de revenir dans le sud, à l’ombre de ce préau.
La Colline immuable protège toujours des pâturages où les vaches ruminent un autre temps.
Un vent secoue les herbes par rafales, comme le mistral de l’enfance.
Des pelletées bruyantes juste derrière le mur du nouveau chantier :
Les rythmes des bêtes, des cieux, et des Hommes.
Des nouvelles couleurs fort gaies sur les murs ; les mêmes pupitres étroits d’écolier ; et ce sourire d’enfants toujours renouvelé.
Cet espace a bien changé, et c’est fort heureux.
Lors d’une pause, je m’approche d’une salle ouverte sur la cour où des enfants jouent par terre aux osselets avec des cailloux. Je m’installe avec eux, retrouve la joie des pattes de chat et de tigre ; et perds rapidement devant la dextérité des deux filles.
Derrière elles, j’observe avec surprise deux petites déjà soignées, qui jouent à l’ostéopathie.
L’une d’elle, refait impeccablement notre test universitaire en 12 points d’orientation diagnostisque. Je suis stupéfait de sa fraicheur lors de ce jeu. La pleine joie de sa pratique est magnifique…
La vie touchée, touchante sous les doigts : une victime d’un accident grave est handicapée maintenant. La vie s’est protégée en lui, en le déformant le mieux possible avant la rupture d’une partie périphérique : empreinte… Avec les mains d’un ami, il retrouve apaisé le relâchement de cette compression, sa respiration, et son axe.
Dernier soin, une femme se plaint de la nuque ; et pourtant son ventre appelle :
Elle est enceinte. La vie apparait ici aussi. Avec une autre amie, cette vie nouvelle est enfin accueillie par cette mère débordée.
Une colline de lumière émerge de la forêt
Éblouissement ! Un voile devant mes yeux.
84 000 bouddhas sourient immobiles, contemplant l’incertitude et l’impermanence des Hommes des plaines si vertes. Ah, leurs sourires silencieux !
Le Bouddha au sommet est assis vers l’Est, le renouveau et la 1ère lueur du jour.
Ainsi, tout va bien. Nos plantes effleurent les marches au-dessus de la misère, de la solitude et de la violence. La permanence de ce délicat sourire demeure face à notre Monde, et l’odeur des fleurs portée par la douceur du vent.
La femme de ménage de Sihanoukville
Une vieille dame, cheveux rasés, monte les marches péniblement en boitant vers moi. Toucher et éblouissement ! Tout est tranquille ici ; même sa densité sèche est calme. Cette femme de ménage travaille à la grande Pagode, me glisse la traductrice : Purs instants de rencontre.
Après les soins, je prends le chemin vers le dénuement de cette Pagode.
Au milieu des casinos, celle-ci est introuvable pour le chauffeur de mon tuk-tuk.
Je repars vers les plages le long du boulevard, protégé par la bâche du véhicule ; et contemple les façades illuminées des casinos programmés pour le dépouillement des masses. J’invoque alors la bouddhiste, qui balaie chaque jour dans cette pagode cachée, la voie vers le sourire immuable. La nuit sans air, mes lumières artificielles s’éteignent enfin peu à peu.
Le lendemain, Sopheak, vêtue d’un tee-shirt de l’ambassade française avec les 3 vertus tant oubliées de notre Révolution « Liberté-Égalité-Fraternité » nous emmène enfin vers cette pagode sur une colline, autrefois avec vue sur la baie.
Une salle lumineuse, en retrait des autres bâtiments, où le silence et l’encens imprègnent déjà le préau. Au fond, la statue de la Dame en noir nous attend. Et nous voici devant, pieds nus, immobiles et enfin reposables. Comme les vierges noires chez nous, son calme permet de s’abandonner à la grâce de l’instant.
Entre les parois illuminées de néons des casinos et les squelettes de tours interrompues, entre Las Vegas et les quartiers fantômes, existe un lieu de silence où une Dame comble tout.
Sopheak et Danith, nos deux anges gardiens, qui connaissent si bien ce pays, ses orphelinats et ses histoires, nous traduisent toujours les demandes des Cambodgiens avec leur élégance retenue.
Demeure alors, une présence consciente qui imprègne les corps et l’espace ; et ensuite ce silence perçu, inoubliable et indicible.
Merci à leur présence ; Merci à docOSTEOcam et Hattha Vichesas d’avoir initié cette mission ostéopathique.